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partie centrale qui "pousse"

L’Afrique

En parallèle avec notre entrée dans le monde du travail, Christiane et moi avons développé le projet « Afrique en bus». Première chose, trouver des équipiers. Daniel s’annonce partant, de même qu’Alex et Lise-Marie. Il nous faut 3 véhicules, ce sera des bus VW modèles 1961 à retaper et à aménager.
Une annonce dans « l’Illustré » permet de recruter une fille qui voyagera avec Daniel. Claude se joint donc à nous, mais participe de loin à nos préparatifs qui requièrent beaucoup d’énergie.
Un jour je me fâche bêtement avec Daniel et prend une décision que j’ai souvent regrettée par la suite.
- Tu ne seras pas du voyage !
Nous partirons donc à 5 dans les 2 bus restant.
Octobre 1973, départ pour Chambery pour une visite à notre passionné d’archéologie, puis le Sud de la France et l’Espagne. A Alméria, embarquement pour Melilla avec 24h de traversée.
Passage à Oujda pour une soirée chez Marc, mon camarade d’étude qui s’est exporté en coopération technique, puis traversée de l’Atlas par les gorges du Ziz, visite des sources bleues du Meski, les gorges du Dadès, du Thodra et Ouarzazate.
Fes. Meknes, Marrakech (ou nous nous retrouvons en bagarre de lancer de pierres avec de jeunes marocains agressifs) puis Essaouira sur la côte atlantique que l’on longe jusqu’à Goulimine…. Crac, le boulon d’attache de l’amortisseur avant se casse net.
Deux jours de réparation seront nécessaires et en route pour Tan-Tan, où nous décidons de prendre un guide car la piste de Tarfaya est très sableuse avec de gros cailloux cachés dessous. Je me félicite des importantes protections de chassis qui se déforment sous les chocs. Par contre nous ne sommes pas très content du guide qui ne connaît pas du tout la route et qui devait simplement se rendre à Tarfaya. Onze heures de route en 2 jours pour 110km.
A peine arrivés, notre guide exige plus que la somme prévue et il faudra la police pour qu’il accepte d’être raisonnable. Mais pas moyen de prouver qu’il n’a rien d’un guide.
Passage de la frontière du Sahara espagnol (qui sera annexé purement et simplement l’année suivante par le Maroc), nous voici en novembre.
Les espagnols nous offrent une route goudronnée, alors pleins pots sur El-Aiyoun, puis la frontière Mauritanienne où nous rencontrons les premiers hommes bleus.
Le chech dont ils se couvrent la tête est bleu indigo. La couleur se dépose sur la peau, s’incruste puis ne s’en va plus.
Direction Bir Moghrein par une large piste de gravier fin, le « reg ». Ca roule bien, mais nous ne tardons pas à découvrir la tôle ondulée que j’avais imaginée « en long » comme des ornières, mais voici la réalité, elles sont en travers ! Il nous faudra constamment chercher les bonnes voies parmi les innombrables pistes qui accompagnent la piste principale.
A Bir Moghrein, nous annonçons à la police notre départ du lendemain pour Zouerate, distante de 700 km. Nous prenons tout notre temps pour apprécier cette immense étendue pratiquement plate. Le sol est toujours couvert de reg avec quelques passages caillouteux ou sablonneux. Pas de difficultés majeures, mais la piste principale est très difficile car la tôle ondulée est longue et profonde. Produite par les camions, elle a une amplitude de 7 cm. Nous sommes donc contraint de chercher constamment les passages les plus faciles, le tout à petite vitesse pour économiser les amortisseurs.
En fin de journée, nous sortons des pistes pour établir le campement. Enfin le silence ! Plus aucun bruit à part quelques mouches venues de nulle part. La nuit est extraordinairement claire. Pas de lune, mais une quantité d’étoiles. Le ciel est immense, nous sommes seuls au monde. Au loin, une lumière à raz du sol grossi lentement, puis se divise en deux. Une demi-heure plus tard, le camion passe enfin sans nous voir, car nous avons éteint toutes les lumières. Nous suivrons longtemps les feux arrière jusqu’à ce qu’il disparaisse à l’horizon.
Après 4 jours et le croisement de 3 ou 4 véhicules, au loin apparaît une montagne rongée par sa mine de fer à ciel ouvert. Zouerate est devant nous, de l’autre côté d’une étendue de sable dans laquelle zigzaguent les ornières de tous les véhicules qui s’y sont mesurés. Au lieu de chercher un contournement plus facile, nous fonçons tout droit et comme beaucoup d’autres, nous nous retrouvons rapidement en train de creuser, tirer, pousser pour nous en sortir. Quelques heures plus tard, la petite ville accueille enfin les voyageurs épuisés. Avantage : les casseroles étant très efficaces pour creuser le sable sec, elles sont aujourd’hui d’un brillant jamais vu.
Quelques jours de repos nous permettent de faire connaissance avec quelques jeunes qui nous initient à la cérémonie du thé et visitons l’impressionnante mine.
Chargé sur d’immenses camions dont les roues font au moins 3 mètres de haut, le minerais est acheminé à la gare. De là le train le plus long du monde (220 wagons tirés par 5 locomotives) affronte 1000km de désert pour se vider au port de Nouadhibou.
Au sud de Zouerate, le désert s’envahit de sable, se colline à l’infini, la voie ferrée est la seule référence stable.
De nouveaux ensablements nous amènent à découvrir ce que beaucoup savent déjà… le dégonflement partiel des pneus facilite beaucoup les choses.
Suivre la voie ferrée n’est pas toujours possible. Le passage des camions crée des ornières si profondes que nos roues ne touchent parfois plus terre et la zone difficile s’étend sur une trentaine de kilomètres, pas de choix, il faut la contourner. Nous partons donc au petit matin (l’humidité de la nuit durcit le sol) à la boussole et sur du sable vierge de trace. Au programme, un demi-cercle de plus de 50 km en dehors de toute piste. La vitesse évitant l’enfoncement, chaque arrêt pour faire le point ne peut se faire que sur une zone où le gravier apparaît.
Vers midi, au loin, enfin la voie ferrée !
Le passage des trains est un spectacle extraordinaire. Tout d’abord le sol vibre, puis le grondement s’intensifie, les locomotives à traction diesel apparaissent enfin. Les wagons de minerais défilent lentement sur lesquels des gens se sont installés avec leurs bagages. Le wagon de queue a disparu depuis un bon moment avant que le silence des sables ne revienne.
C’est lorsque le niveau de la réserve d’ovomaltine a curieusement baissé qu’un problème humain apparut au grand jour. En effet jusque là nous n’avons eu que très peu de problèmes de groupe. Chacun s’observait et se respectait, les règles de vie se sont misent en place au fur et à mesure. Par exemple, si on veut avoir de l’ovomaltine pour 6 mois, il ne faut pas l’avaler à la cuillère à soupe !
Toujours intéressé par de nouveaux horizons et avec le souci  de réussir notre traversée du désert, je ne crois pas avoir vraiment profité des instants présents et du laisser vivre. Finalement après Atar et Nouakchott, nous nous sommes retrouvés à la frontière du Sénégal après 3 semaines de Sahara (seulement) et des regrets d’avoir passé si vite.
Décembre s’annonce, c’est la bonne saison. A Dakar nous faisons la connaissance d’un missionnaire évangélique qui nous offre la cour de sa maison comme camping. J’y suis revenu 31 ans plus tard pour faire la connaissance de la mission évangélique de Corée qui occupe aujourd’hui ces locaux. La cour, le garage, la maison, tout y est encore !
Après avoir déposé Claude à l’ambassade (pour sauver notre ovomaltine !), en route pour la Casamance (à quatre).
Cette région sud est séparée du Sénégal par la Gambie qui coupe pratiquement le pays en deux. Région riche au climat tropical, tout y pousse facilement, aussi les Diolas ne sont-ils pas très portés à partager leurs revenus avec le nord semi désertique ou avec Dakar la Métropole.
La guerre qui sévit en Guinée voisine n’arrange pas les choses, c’est pourquoi nous limitons nos visites à Ziguinchor la capitale régionale et à Cap Skirring la côte touristique où nous avons réussi à nous ensabler sur une plage.
Le parc national du Niokolo Koba nous permet de faire connaissance avec quelques animaux sauvages. Phacochères, crocodiles, hippopotames, quelques bandes de singes et surtout un oiseau magnifique, le rollier d’Abyssinie.
A Tambacounda, il fait 40° à l’ombre et nous sommes à la saison froide. C’est le centre du pays, le climat est sec. Soudain Alex Klaxonne, il ne peut plus passer la première vitesse. Je me rends compte qu’on n’ira pas beaucoup plus loin. Sa boîte à vitesse fait plus de bruit que le moteur.
-C’est comme ça depuis longtemps ?
-Oui, déjà en Mauritanie.
Un retour à Dakar s’impose, mais après 50 km il n’y a plus que le point mort qui fonctionne ! Nous allons remorquer Alex et Lise-Marie sur plus de 150km en 10 heures de route. Arrivée le 23 décembre à 2 heures du matin chez notre missionnaire qui nous découvre au petit matin devant sa porte.
Accueil chaleureux, il nous prête son garage pendant la réparation du bus. Après démontage, nous amenons la boîte à vitesses à l’agence VW qui en fera une rénovation complète.
Un jour notre missionnaire décide de transvaser de l’essence d’un fût de 200lt entreposé dans la fosse du garage, sous le bus d’Alex immobilisé pour la réparation. Il utilise la perceuse électrique pour faire tourner la pompe. L’amorçage est difficile et de l’essence se répand ici et là. J’observe d’un oeil curieux et ce qui devait arriver arriva. Une étincelle et de belles flammes ! Pour éviter que le fût ne s’enflamme aussi, il retire violemment le tuyau qui se vide et alimente ainsi l’incendie. Le fût brûle aussi par son ouverture…panique ! le bus ! le garage !
Je fonce sur notre petit extincteur de voyage et en deux secondes tout s’arrête ! Une efficacité extraordinaire ces appareils. Par contre, la poudre et l’odeur d’essence empeste dans tout le garage.
Le temps que tout ça s’évapore, nous partons en brousse (à 4 dans notre bus) pour visiter une région éloignée de tout, le désert du Ferlo au centre du pays.
Alex y a réalisé un film sur la vie d’un village qui n’a pas souvent vu des « toubabs ». Les femmes sont intriguées par nos cheveux lisses, les conversations se font grâce à la seule personne qui parle un peu français. Après une semaine riche d’apprentissage de la vie africaine, retour à Dakar pour enfin recevoir du courrier à l’ambassade de Suisse. La poste restante fonctionne aussi, mais il est plus difficile de trouver notre courrier indifféremment classé sous « Bordon », « Didier » ou « Monsieur ».
A l’ambassade, si on nous obtenons facilement notre courrier, on nous demande aussi de présenter le livret militaire pour inscription de la nouvelle adresse. Longue explication sur notre voyage « sans domicile fixe » et sur le fait que mon livret militaire est toujours en Suisse.
Nous devons aussi aller aux ambassades du Mali, du Niger, de Haute Volta (Burkina Fasso) et de côte d’Ivoire pour obtenir les visas nécessaires.
Pas mal d’administratif donc, sans compter avec le retard dans la réparation de la boîte à vitesses. Tout cela nous met un peu les nerfs à vif.
Avec Christiane, nous décidons de continuer seuls, aussi dès la réparation effectuée, nous quittons le centre ville pour la pointe des Almadies. En bord de mer, deux voitures attirent notre attention, des deux chevaux ! A voir l’état, elles ont dû aussi traverser le Sahara. Les deux couples sont sympathiques. Jean et Mariette ont quitté la France dès que leurs enfants sont devenus adultes et qu’une retraite anticipée à été possible. Très anticipée la retraite ! Après une carrière dans l’aviation militaire, à 53 ans Jean  veut faire connaître à sa femme tous les aéroports africains où il a souvent séjourné.
L’autre couple est en vacances prolongées et se dirige vers le Mali. L’idée nous plait, aussi nous proposons de nous joindre à cette équipe.
La route sur Bamako (capitale du Mali) n’est pas entretenue de façon à encourager l’utilisation du train. Pour nous cela signifie de louer un wagon-plateforme pour les trois voitures et cela se fera depuis Tambacounda.
Nos voitures sont solidement fixées à l’aide de gros fil de fer, elles nous serviront de cabines pour le voyage. Devant nous la locomotive diesel, derrière nous quelques wagons marchandises, puis les wagons voyageurs bondés.
Après une heure de voyage, nous nous arrêtons en pleine nature. Ca discute ferme du côté de la locomotive, mais le Wolof on ne comprend pas. Renseignements pris, la locomotive est en panne et les mécaniciens ont téléphoné à Tambacounda pour qu’une autre loco vienne nous secourir.
En fait quelques contacts électriques sont oxydés, il faut simplement du papier de verre que je sors de ma caisse à outil. En 10 minutes, les contacts sont fonctionnels, et soudain, le convoi part lentement en marche arrière. Les mécaniciens bloquent les freins et actionnent le klaxon. La locomotive de secours est venue s’accoupler à l’arrière et repartait sans avertir. Un homme court pour leur dire que c’est tout bon et finalement on repart dans le bon sens.
A 30 ou 40 km/h le paysage défile plus régulièrement, du moins jusqu’à ce qu’une côte un peu prononcée nous ralentisse petit à petit. Et voilà qu’on s’arrête à nouveau ! Surchauffe !
On se laisse reculer pour prendre un peu plus d’élan et laisser refroidir le moteur. Au deuxième essai, c’est bon on passe le sommet de la colline. Vers minuit c’est le branle-bas de combat, on arrive à la frontière, tous au poste de police puis à la douane. Nos passeports sont confisqués sans explications pour examen et sans nous dire quand le train repartira. C’est bien suisse ça de penser que le train doit repartir à une heure précise. En fait il repartira quand tout le monde sera contrôlé, mais nous ne le savions pas.
Nous n’osons pas quitter le train des yeux et pourtant il faut bien faire les formalités douanières qui ne sont pas simples avec un véhicule.
En effet, malgré le système du carnet de passage délivré par les chambres de commerce, les douaniers se méfient d’une revente du véhicule dans leur pays alourdissant ainsi les importations qui sont déjà trop élevée.
Le train se met en marche ! Nous courrons pour sauter sur la wagon mais ce n’était qu’une manœuvre et il faut un moment pour que notre taux d’adrénaline retombe. Vers deux du matin de nombreux coups de sifflet nous annonce un départ imminent.
Au lever du jour, nous terminons à la gare centrale de Bamako notre épopée presque digne de Tintin au congo.
Il nous faut encore la matinée pour décharger les véhicules.
La ville et ses habitants nous semble bien agréables. Au marché, de nombreux passants s’agglutinent autour d’un saltimbanque qui s’enfile deux clous de charpentier d’au moins 20 cm de long dans les trous de nez !
Un brave type me dit de faire bien attention aux voleurs car il tient à la bonne réputation de son pays.
Les légumes, les épices et les fruits réjouissent les yeux. Les odeurs enchantent nos narines et parfois un éternuement est inévitable. Oh ! D’immenses bananes. Moi qui aime ça, en achète une pour dégustation immédiate mais le goût ressemble plus à une pomme de terre qu’à une banane. C’est ainsi que j’ai découvert la banane plantain qui se cuit comme un légume.
Après un échange d’adresses, nous partons vers le nord, alors que nos nouveaux amis partent en direction de la Côte d’Ivoire. Nous ne savons pas encore que deux ans plus tard nous voyagerons presque une année avec Jean et Mariette.
Bamako est situé sur le fleuve Niger qui curieusement prenant naissance en Guinée, se dirige plein nord au lieu d’aller se jeter rapidement à la mer. Arrivé à Tombouctou, il se rend compte que le Sahara risque de l’absorber et décide d’infléchir son chemin, puis de repartir au sud. Il arrose ainsi le nord du Mali, le Niger puis le Nigeria permettant à de larges communautés de profiter de ses bienfaits.
Nous allons presque suivre son parcours, en direction de Djenné et sa plus grande mosquée de type saharien, puis de Mopti dernière possibilité de ravitaillement pour franchir les 600km menant à Gao.
Détour en suite par le pays Dogon et ses fameuses falaises de Bandiagara. La piste devient de plus en plus difficile et nous ne continuons que parce qu’un habitant nous a affirmé qu’il est possible de rejoindre la piste principale du pied des falaises. Nous comprenons plus tard qu’il parlait d’un parcours avec son âne et sa charrette.
Une fois engagé dans la descente de la falaise plus moyen de reculer. C’est sur les freins que nous passons roue après roue les restes d’empierrement que la dernière saison des pluies à laissé. Il faudra même que Christiane me guide au centimètre pour que le bus ne bascule pas dans le vide d’un passage particulièrement étroit.
Au pied des falaises plus de piste ! La boussole est notre seule référence jusqu’à ce que surprise, nous débouchions sur la piste principale enfin retrouvée. Nous ne croisons aucun véhicule en provenance de Gao, seul quelques postes de contrôle policiers nous permettent de nous rassurer sur l’état de la piste. Mais nous apprenons que l’essence manque à Gao et qu’il ne sera peut-être pas possible d’en obtenir.
La végétation disparaît petit à petit… et la piste aussi ! Plus que le « cram cram » mettant nos pneus à contribution. Les graines de ces herbes sèches sont pourvues d’épines de 2 à 3 mm qui très vite habillent nos pneus de jaune.
Une piste bien ensablée part sur notre gauche, un panneau en bois peint mentionne « Gourma-Rharous », c’est la route de Tombouctou. Bien que notre envie d’aller dans cet endroit mythique nous tenaille, nous ne prenons pas le risque du nous y aventurer. Le manque d’essence dans la région a réduit au minimum le trafic (on a vu une voiture depuis trois jours) et nous craignons qu’en cas de panne nous ne soyons vraiment très seuls.
Peu après, au bord de la piste de Gao, un enfant touareg nous fait signe qu’il a soif. C’est une règle dans le désert, l’eau doit être partagée, mais ce sont ses yeux qui nous font pitié, tous les signes d’une conjonctivite purulente. Christiane lui nettoie les yeux avec du thé noir refroidi et ajoute quelques gouttes de collyre désinfectant. Il nous demande de l’emmener avec nous et nous indique une piste qui serpente entre les épineux. Impossible de se comprendre, j’essaie de ne pas trop me perdre en observant bien quelques repères. Une tente, une famille, nous nous arrêtons… ils tous les yeux en triste état !
Nous passerons l’après-midi à soigner tout le monde, heureusement que notre pharmacie était aussi prévue pour cela.
Je me souviens qu’en Gambie, une simple aspirine avait fait désenfler en quelques heures un genou rhumatisant. A Bamako un peu de désinfectant avait permis de soigner une vilaine plaie au bras d’un enfant. Peu de choses suffisent, il suffit de le faire.
Gao se trouve de l’autre côté du fleuve, il faudra traverser en bac à moteur, mais il ne vient pas souvent, il faudra attendre. Attendre est le maître mot du voyage. Tout prend du temps… à moins de lâcher du « bakchich », mais du temps on en a !
Un jour n’est rien ici. A peine le temps de répondre aux questions des curieux, de refuser d’emmener un enfant que des parents trop pauvres préfèrent ne plus voir pour pouvoir les imaginer en de bonnes mains.
Nous sommes les seuls avec un véhicule car le manque d’essence a découragé les voyageurs en provenance de Mopti. Je me réjouis d’avoir pu emmagasiner 140lt dans mes deux réservoirs et 40lt en jerricans, mais il nous en faut quand même au minimum 20lt à Gao pour rallier le Niger. Après quelques questions au marché, un homme nous emmène dans sa case et nous montre un fût de 200lt dans lequel il reste un peu du précieux liquide. Bien sûr le prix est 3 fois plus élevé, mais on a pas le choix, espérons qu’elle n’est pas trop trafiquée !
A Gao, deux mondes. Les noirs vivent avec peu, mais cela semble jouable. Les touaregs eux vivent dans des camps de la Croix Rouge car en cette période de sécheresse leurs troupeaux sont décimés. Ils n’obtiennent pas d’aide des noirs, car depuis des siècles les « razzias » des tribus du désert ont régulièrement prélevé leur part d’esclaves parmi les tribus du Sahel. A Bamako, le marché aux esclaves a toujours existé, même si officiellement cela n’existe plus.
Après Gao la piste longe le fleuve et une végétation d’épineux réapparaît. Soudain un troupeau de girafes se disperse devant nous, on n’en a jamais vu autant. Vite, l’appareil de photos. Elles ne sont pas farouches et c’est un plaisir que de les approcher à quelques mètres seulement.
La frontière ne pose pas de difficultés et les kilomètres s’alignent sur une bonne piste, mais l’essence diminue très sérieusement. Tillabéry est au moins à 30 km et je branche la réserve de 5 litres. J’y ajoute encore le demi litre du réservoir du réchaud que nous utilisons depuis des mois pour cuisiner. Le goudron provoque le décollage d’une couche sur les pneus. Cinq millimètres s’en vont d’un coup,  et les pneus sont de nouveau noirs. Plus que 130 km et nous arrivons à Niamey, jolie ville sympathique.
Quelques jours de repos nous font reprendre contact avec l’intense vie africaine. Le marché est é chaque fois une expérience passionnante. On y comprend le mode de vie et le rire est le meilleur moyen pour communiquer. Tous nos sens sont mis à l’épreuve, particulièrement l’odorat qui se régale de toutes les épices et le goût qui tente de supporter quelques repas à base de riz cuit à l’huile de palme (et je ne parle pas des intestins !).
A la frontière de la Haute Volta (aujourd’hui le Bourkina Fasso) des militaires nous apprennent qu’il y a eu une prise de pouvoir par l’armée mais qu’il n’y a pas de problèmes. Avant d’aller à la capitale (le temps que les choses se tassent un peu), nous visitons le parc national du W qui ajoute quelques animaux à notre collection photographique, en particulier des gazelles. Une crevaison aussi qui sera la seule de tout le voyage (60'000 km en deux ans).
La piste de Ouagadougou est large, mais tôlée. Nous voici encore partagé entre l’envie de rouler à fond ou très lentement. A 60 km/h on a l’avantage de beaucoup moins sentir les vibrations, mais on survole la piste avec l’impression de conduire un canot moteur. La trajectoire est très incertaine, sans parler du freinage, car à l’accélération comme au ralentissement on passe forcément par la mauvaise fréquence, celle ou tout se dévisse !
A 15 km/h c’est plus sage, mais le temps est long. Pour optimiser, on rase les bords moins tôlés, tantôt à droite, tantôt à gauche pour que la fatigue des amortisseurs soit symétrique.
Ouagadougou nous enchante, comme toutes les villes du Sahel et les gens nous surprennent toujours par leur gentillesse et leurs questions. –Etes-vous mariés ? avez vous des enfants ? Pourquoi voyager toujours ?
Des questions nous en posons aussi car les derniers évènements ne se remarquent pratiquement pas. Seuls quelques militaires souriants sont postés aux carrefours. Il paraît que le pouvoir a été pris grâce à 3 chars d’assaut qui ont attaqué la présidence. Je m’inquiète des informations diffusées en Suisse car les journalistes ont l’art de monter ce genre d’évènements en épingle, cela pourrait alarmer nos parents. Un coup de téléphone pour les rassurer, nous nous sentons mieux maintenant.
La piste pour Bobo Dioulasso est en bon état, nous entrons au pays des Mossis dont les cases sont typiques. La végétation se densifie, les cultures se multiplient. En route, nous ne manquons pas de visiter un lac abritant des crocodiles sacrés. On dit que lorsqu’un animal meurt, un habitant du village meurt aussi. C’est pourquoi les uns nourrissent les autres par le sacrifice de poulets histoire de les tenir en bonne santé. Nous finançons un repas pour en savoir plus. Un garçon entre dans l’eau jusqu’aux cuisses et réveille à coup de bâton un tronc d’arbre flottant. Celui-ci daigne enfin ouvrir la gueule pour engloutir le pauvre poulet que la vie a déjà quitté depuis un moment. Bien nourrit les crocodiles ! S’ils meurent c’est sûrement d’embonpoint.
Le « guide bleu » de l’Afrique de l’ouest est notre référence. Cet ouvrage répertorie beaucoup d’endroits intéressant et nous indique qu’à Bobo Dioulasso, il ne faut pas manquer la « Guinguette ». Nous savons qu’en Afrique il est toujours dangereux de se baigner dans l’eau douce souvent infestée de bilharziose ou autres parasites. La Guingette est une source d’eau importante, pratiquement une rivière qui sort de terre. Au cœur d’une forêt, les oiseaux et les singes complètent cet endroit idylique. Impossible de ne pas en profiter, l’eau est tiède, transparente, le paradis.
Même les moustiques adorent cet endroit, mais il ne sont pas dangereux pour nos corps alimentés chaque matin par sa capsule de Nivaquine.
Le marché de Bobo est riche de fruits et légumes cependant nous n’en prendrons que le minimum, puisque dans quelques jours nous serons en Côte d’Ivoire, là-bas il doit y en avoir encore plus !
La végétation devient luxuriante et le passage de la frontière se fait sans problème. Quelques kilomètre plus loin, le marché de Ferkéssédougou n’offre pratiquement pas de fruits et légumes, c’est la consternation ! On nous indique le supermarché et nous contenterons d’une boîte d’ananas. Seul avantage, la climatisation du magasin contraste avec l’air chaud et humide de l’extérieur. Notre déception est si grande que nous parcourons d’une traite les 500km qui nous amènent à Sikensi près de la côte.
Au passage, Yamoussoukro la ville du président Houphouët Boigny. La route s’y transforme en autoroute sur 10 km pour son simple plaisir. Le soir il ne fait plus que 29 degrés, mais l’humidité est à son maximum et le sommeil sera difficile. Le lendemain, six semaines après le départ de Dakar, nous voici à Abidjan.

A suivre...