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Jean de Léry: Histoire d'un voyage fait en la terre du Brésil (première édition 1578)

Jean-Claude Ruffin décrit cette épopée dans son ouvrage "Rouge Brésil", prix Goncourt 2001.

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partie centrale qui "pousse"

Chapitre 8

L’an 1556, un Bordon en Amérique
Nous avons reçu une lettre d’Amérique ! Au sein de la nouvelle église réformée de Genève, la nouvelle se répandit très vite. En effet, dès que Calvin en eu pris connaissance, il lui fallait se mettre à l’œuvre.
Depuis le voyage de Christophe Colomb en 1492, une exploration systématique du grand continent était entreprise et les espagnols, les portugais, les anglais et les français investissent massivement dans les moyens nécessaires.
 Une année plus tôt, en 1555 le roi de France Henri II, avait accordé au chevalier Nicolas Durand de Villegagnon, vice-Amiral de Bretagne, un crédit de 10.000 livres pour aller fonder une colonie en Amérique du Sud. Parti du Havre à l'été de 1555, sur deux navires avec 600 gens d'armes et de métiers et le Frère André Thevet comme aumônier, l'Amiral accosta en novembre sur un îlot de l'embouchure du Ganabara [baie de Rio de Janeiro]. Malheureusement, à peine arrivé, notre aumônier tomba malade et dut rembarquer au début de l'année suivante. Il fut de retour en France en juin 1556. Il avait néanmoins eu le  temps de faire pas mal d'observations sur les indiens du littoral et ramena une plante nouvelle, le "Petun" que les indiens Tupinamba faisaient brûler dans un cornet de feuilles pour en aspirer la fumée. De retour, il se mit à cultiver cette plante en Angoumois et en donnera une description et une représentation précise dans sa "Cosmographie universelle" de 1575.
C'était le Tabac, mais la notoriété de cette découverte lui avait déjà échappé car c’est Jean Nicot, seigneur de Villemain, Ambassadeur au Portugal (qui n’avait jamais voyagé) qui en envoya à la Reine Mère Catherine de Medicis en 1560. Elle en lança la mode, c'était l'herbe à Nicot, ou nicotiane.
Le frère Thevet rapporta également divers courriers dont la fameuse lettre à l’attention des autorités réformées de Genève.
La ville avait changé radicalement depuis une quinzaine d’année. Avec l’arrivée des réfugiés réformés, de nombreux imprimeurs et éditeurs contribuent à l’essor de la nouvelle religion en imprimant des textes bibliques et des traités de théologie. Genève est devenue la Rome du protestantisme.
L’imprimerie n’existait pas depuis longtemps mais le public avait soif d’informations et pour le bonheur de cette nouvelle industrie de nombreux ouvrages ont été imprimés sur l’exploration des Amériques. C’est ainsi que paraîtra  en 1580 un livre écrit par Jean De Lery et qui raconte l’épopée de 14 réformés partis de Genève pour aider Villegagnon au Brésil.
Il ne fut pas facile pour Calvin de trouver des volontaires. Il fallait des gens en bonnes conditions physiques et décidés à quitter pour longtemps leur famille et une ville en pleine expansion.
Philippe de Corguilleray qui connaissait Villegagnon fut chargé de diriger l’expédition et pour cela laissa affaires et famille. Pierre Richier qui avait plus de 50 ans et Guillaume Chartier se chargèrent du recrutement et ce n’est qu’après maintes semonces et recherches de tous côté que quelques courageux se sont finalement présentés :
Pierre Bordon, Matthieu Vernevie, Jean du Bordel, André la Fon, Nicolas Denis, Jean Gardien, Martin David, Nicolas Raviquet, Nicolas Carmeau, Jaques Rousseau, et Jean de Lery.
Ils sont donc quatorze à partir de Genève le 10 septembre 1556 pour la Normandie où trois navires bien armés seraient  bientôt prêts à appareiller.
La « Petite Roberge » avec 80 personnes à bord, la « Grande Roberge »  120 personnes et la « Rosée » avec 90 personnes dont 5 jeunes filles et leur gouvernante qui seront les premières françaises en Amérique.
Le départ a lieu le 19 novembre dans un concert de canons, trompettes et acclamations.
La mer a immédiatement montré que c’est elle qui fixe les règles du jeu et ce n’est que le treizième jour, que Dieu apaise les flots et les orages de la mer donnant aux malades un peu de répit.
Les navires français ne devaient pas seulement lutter contre les éléments naturels. Les Portugais et les Espagnols s’estimant les maîtres de l’Atlantique ne toléraient d’autres navires que dans la mesure où ils étaient de taille à se défendre.
C’est ainsi qu’en croisant des navires marchants (amis ou ennemis) les matelots de notre flottille n’hésitent pas à les aborder (soit disant pour acheter des marchandises) et pour finir transborder tout ce qui peut l’être.
Après quelques jours de répit, une nouvelle tempête secoua  très rudement les navires. Même les matelots ne pouvaient pas se tenir debout et des paquets de mer impressionnants passaient par-dessus les bateaux.
Le 5 décembre peu après avoir doublé le cap St Vincent au Sud du Portugal, nous croisons un navire d’Irlande et les matelots prétextant manquer de vivres suite à la tempête confisquèrent du vin, des figues, des oranges et autres vivres.
Sept jours plus tard en arrivant aux îles Fortunées (Canaries), une vingtaine de matelots décident d’aller à terre pour ravitailler mais les espagnols les renvoient si durement qu’ils ont dû abandonner.
De rage, nos matelots ont arraisonné une caravelle de pêcheurs ancrée par là et l’ont vidée d’une grande quantité de « chiens de mer » séchés. Sans en rester là, ils ont ramassé les compas de mer, les voiles et pour terminer ont coulé le bateau à coup de hache !
Pendant 3 jours, comme la mer était calme, nos pêcheurs de bord ont filé des lignes et ramené une grande quantité de dorades, chiens de mer et autres sardes.
Le mercredi 16 décembre, la mer enfle soudainement et renverse la barque utilisée pour la pêche. Heureusement elle était amarrée à notre navire et les deux matelots qui étaient à bord ont pu tout juste être sauvés mais la barque a été perdue.
Le dimanche 20 décembre au large de la plus grande île, nous croisons une caravelle portugaise et nos capitaines qui avaient décidé de se saisir d’un navire supplémentaire n’hésitèrent pas à l’aborder. Cependant une certaine sympathie entre capitaines ennemis fit que la grâce leur serait accordée s’ils participaient à la capture d’un autre navire.
C’est le jour de Noël qu’une caravelle espagnole en fera les frais. Chargée de bon sel blanc, elle est accostée à coup de mousquet et sera emmenée au Brésil.
Malgré la promesse faite au capitaine de la caravelle portugaise, nos écumeurs de mer entassèrent dans son bateau les espagnols capturés et les laissèrent sans biscuits ni autres vivres. De plus les matelots coulèrent à pic leur barque, déchirèrent leurs voiles et les abandonnèrent là si bien que qu’il eut mieux valu faire couler aussi ces pauvres gens que de les laisser dans cet état.
Après ce beau chef d’œuvre (et les regrets de bien des passagers), le vent d’Est s’est levé, il est donc temps de gagner le large. Sans vouloir être ennuyeux dans la description de ce voyage, dès le lendemain deux nouvelles prises ont été faites sans résistance. La première, une caravelle portugaise pu repartir sans dommage au grand dam de quelques marins espagnols qui leur auraient bien fait la peau.
La deuxième, dirigée par un espagnol nous fournit gratuitement du vin, des biscuits et d’autres victuailles, mais surtout une poule que son capitaine regretta beaucoup car elle lui fournissait un oeuf frais chaque jour.
Notre route vers le sud se déroula ensuite sans difficultés et plus les eaux étaient chaudes, plus la pêche était heureuse. Marsouins, bonites, dorades et grande quantité d’autres poissons tombèrent dans nos cales. Les poissons volant tombèrent eux sur le pont à l’étonnement des passagers qui n’avaient encore jamais vu cela.
A quelques degrés de l’équateur, le vent régulier fit place à des calmes, des grains orageux et des vents allant dans tous les sens. La chaleur étouffante n’est guère allégée par les pluies qui sentent si mauvais qu’on ne peut en boire l’eau.
L’eau d’ailleurs fait cruellement défaut. Les fûts sont pleins de vers et on ne peut boire qu’en se bouchant le nez. L’humidité s’infiltre partout, nos biscuits moisissent et pour ne pas mourir de faim, il nous faut manger cette nourriture qui compte autant de vers que de miettes.
Nous devrons rester cinq semaines aux alentours de l’équateur sans vraiment s’en approcher et c’est le 4 février 1556 qu’un vent de nord-est est assez aimable pour nous le faire traverser.
Ce passage doit être fêté comme il se doit et les marins se chargent de bizuter tout le monde. Drapeau frotté au cul de la chaudière pour noircir le visage de certain, pour d’autres une bonne corde permet de les tremper à la mer.
Le paiement d’une rasade de vin permet à d’autres de s’en échapper.
Le 13 février à midi, le soleil ne laisse pas d’ombre et nous passons au soleil du nord. C’est par 12 degrés sud que la tempête s’est levée pour 4 jours, nous laissant dans les jours suivants sans un souffle d’air. C’est là que nous rencontrons pour la première fois une baleine.
Un bon vent d’ouest se lève ensuite et nous porte jusqu’au 26 février 1557 à 8 heures du matin, jour où les terres du Brésil se sont enfin montrées.
Nous annonçons notre venue par quelques coups de canon et par précaution jetons l’ancre à quelques encablures au large. Comme une multitude d’indigènes bien armés sortent de la forêt, nous avons gardé notre barque  hors de portée des flèches et leur avons montré de loin divers objets (miroirs, peignes et autre) pour leur faire comprendre notre intention d’acquérir des vivres. Ils comprennent immédiatement et nous aide à charger de la farine faite avec des racines, des jambons de sanglier et une grande quantité de fruits.
Six hommes et une femme embarquent avec nous car ils veulent voir nos navires de près. Ces créatures sont incroyables. Couverts de peintures colorées, les oreilles percées et parée de grands os blancs, ils sont complètement nus. Une pierre verte, bien polie est enchâssée dans leur lèvre inférieure si bien que quand il leur prend l’envie de l’enlever ils ont comme une seconde bouche sous la première.
A bord ils sont extrêmement curieux et regardent tout notre attirail. Nous les avons payé avec des couteaux, des hameçons, des chemises et autre mercerie.
Le lendemain, après un repas pantagruélique, nous hissons les voiles pour le sud.
Une dizaine de lieues plus bas, des coups de canon nous annoncent un fort portugais. Ayant vu nos couleurs françaises, ils nous tirent bel et bien dessus. A quoi nous répliquons par quelques salves mais comme nous sommes assez loin, cet échange se fait sans dommage ni pour l’un ni pour l’autre.
Le 2 mars nous faisons halte pour quelques jours près de trois petites îles afin de remplir nos tonneaux de bonne eau douce et nos casiers de bons œufs frais fournis par les oiseaux si nombreux par ici.
Le 7 mars l’entrée de la baie de Janvier est enfin là ! Nous signalons notre arrivée par des coups de canon et entendons avec plaisir les réponses du sieur Villegagnon perché sur son île à l’intérieur de la baie.
Nous sommes tous impatients de monter dans les barques pour arriver au fort de Coligny et y rendre grâce à Dieu d’être sain et sauf.
Villegagnon nous fait bon accueil et par un discours bien préparé nous dicte notre mission :
- Mes enfants (car je veux être votre père), j’attends de vous que vous répandiez et que vous entreteniez la bonne nouvelle de l’église réformée parmi mes gens et parmi les indigènes. J’attends que vous réprimiez les vices et la somptuosité des accoutrements, en un mot tout ce qui peut nous empêcher de servir Dieu. J’aimerais que cet endroit puisse servir de terre d’accueil aux pauvres fidèles qui sont persécutés en France, en Espagne ou ailleurs.
Après cela notre ministre Richier fit son premier culte au cours duquel ont pouvait voir Villegagnon joindre les mains, regarder au ciel et pousser de grands soupirs qui font s’émerveiller chacun de nous.
Dès la cérémonie terminée, nous sommes conviés à un repas où pour toute viande on nous sert de la farine de racine, du poisson boucané et de l’eau si verte et sale qu’elle devait sortir d’un vieux fossé couvert de grenouilles. En guise de dessert on nous fait porter des pierres pour la construction du fort de Coligny qu’il fallait continuer de bâtir. Tel est la teneur de notre premier jour au Brésil.
Le soir, c’est dans une hutte de branchage sous laquelle on pend des draps de coton en l’air qu’on nous fait dormir. Villegagnon n’a pas d’égard pour la peine que nous a infligé notre voyage et ne nous traite pas comme un bon père qu’il prétend être. Au contraire, nous travaillons durement du point du jour jusqu’à la nuit et n’avons pour toute pitance journalière que deux gobelets de farine de racine dont un est dilué avec l’eau trouble de la citerne pour faire de la bouillie et l’autre à manger sec.
Une fois notre besogne journalière achevée, il nous faut encore participer à la prière publique et prêcher une heure durant afin de convertir les papistes et renforcer la foi des réformés.
Mais les vues divergent de plus en plus entre Villegagnon et ses nouveaux ministres du culte. Le thème le plus délicat concerne la doctrine de la sainte cène ou l’interdiction du remariage d’un ministre du culte.
Le 1er avril le navire Rosée retourne en France avec notre collègue Nicolas Carmeau à bord. Il est chargé de demander à Calvin l’envoi d’autres aventuriers hommes, femmes et enfants. Le 3 avril deux des jeunes filles qui ont fait le voyage avec nous épousent deux domestiques de Villegagnon, ce sont les premiers mariages du fort Coligny.
Le 17 mai une autre jeune fille épouse le sieur Cointa et peu après les deux autres jeunes filles trouvent aussi des époux. Si bien qu’il ne se trouve plus de femme à marier.
4 juin 1557 notre ministre Chartier embarque pour la France avec une dizaine d’esclaves enfants indigènes que Villegagnon veut offrir à ses amis. Il est aussi chargé de demander à Calvin des précisions sur le sacrement de la sainte cène, mais sans attendre la réponse, Villegagnon déclara qu’il avait changé d’opinion et que les thèses de Calvin étaient hérétiques.
La révolte gronde parmi notre équipe de ministres réformés et Villegagnon déclarant qu’il romprait la tête, les bras et les jambes de celui qui le fâchera, nul n’ose plus se présenter devant lui. Sa cruauté est telle que j’ai vu des charpentiers travailler avec des fers aux pieds pour éviter qu’ils ne fuient sur la terre ferme pour vivre avec les indigènes. Je l’ai vu aussi battre à coup de bâton et laisser pour presque mort un français nommé La Roche menuisier de son état. Quand aux 30 ou 40 esclaves indigènes qu’il a réussit à s’approprier, il les traite avec plus de dureté encore au point qu’ils auraient préférés se faire manger par leurs ennemis que d’être ici.
Villegagnon ayant à nos yeux rejeté l’évangile, nous n’avons plus aucunes raisons de rester à son service. Jean Gardien et Jean de Lery sont partis sans autorisation pour la terre ferme pendant 15 jours pour vivre avec les sauvages. Au retour ils reçoivent les fers aux pieds, mais notre groupe faisant bloc il a dû les relâcher.
Les mécontents formant la majorité des habitants de l’île, il aurait été possible de se saisir de Villegagnon pour le jeter à la mer. Mais devant le fait qu’en France les autorités ont confiance en lui (par ignorance) et pour ne pas lui donner des raisons de se plaindre de nous, nous avons décidé à la fin du mois d’octobre de passer sur la terre ferme en attendant que le navire le « Jacques » venu charger du bois précieux soit prêt à repartir.
Nous restons deux mois en compagnie des sauvages (lesquels il faut dire sont beaucoup plus humains que le maître de Coligny !) et avons largement le temps d’étudier leur façon de vivre, de penser et de se soigner.
Nous passons également du temps à étudier leurs fruits (l’ananas est le meilleur), leurs légumes et les animaux de la forêt. Ils ont maintes façons d’apprêter les bienfaits de la nature et leur cuisine peut être complexe. A ce sujet, nous avons pu les voir se faire la guerre entre tribus et ne pas hésiter à cuisiner de bonne manière les ennemis vaincus.
La rédaction d’un dictionnaire est une de nos premières  activités. Fort heureusement leur langage est simple et ils sont de bonne volonté pour nous apprendre.
Pendant ce temps Villegagnon a rédigé diverses lettres et courriers qu’il a remis au commandant du navire en attente de charge. Faisant bonne figure, il nous a fait remettre une lettre de congé pour notre présence en Amérique. Tout semblait être acceptable, si ce n’est qu’une lettre demandant notre procès pour rébellion devait être remise par le commandant à la première autorité judiciaire qu’il rencontrerait en France.
Le 4 janvier 1558 le « Jacques » chargé à bloc de bois précieux, poivre et animaux vivants (perroquets, singes) était prêt à appareiller. Notre groupe de 15 personnes monte à bord pour rejoindre l’équipage formé de 25 matelots et de leurs officiers et c’est bien sûr le cœur serré que nous quittons cette terre du Brésil ou nous avons connu des sauvages plus accueillant que certain chrétiens.
Dès l’entrée de la passe menant au large nous avons rencontré des vents et des courants contraires si forts que nous n’avancions que lentement et il nous faut 7 à 8 jours pour parcourir 30 lieues.
Les marins signalent vers minuit qu’il y a certainement une voie d’eau car leur travail incessant à la pompe n’arrive pas à vider la cale correctement. Les mariniers travaillent alors d’arrache pied pour calfeutrer les voies d’eau avec du lard, du plomb et des draps si bien qu’enfin le travail à la pompe devient plus facile.
Le charpentier du bord constate que la coque est bien vermoulue et qu’il vaudrait mieux retourner à la côte pour attendre une autre vaisseau ou en fabriquer un neuf. Cela donne alors maintes discussions et le capitaine craignant que son équipage ne l’abandonne décida que le navire était maintenant en état de poursuivre sa route. Une barque est cependant mise à l’eau pour ceux des passagers qui veulent retourner à terre.
Sachant que les vivres étaient comptés au plus mince, nous avions le choix entre affronter à nouveau Villegagnon ou la famine et les risques de mer.
Six des passagers mirent leurs affaires et quelques vivres à bord de la barque : Pierre Bordon, Jean du Bordel, Mathieu Verneuil, André la Fon, Jacques le Balleur et Jean de Levy. Mais ce dernier décide finalement de renoncer car il pense qu’il existe un espoir que le navire puisse en cas de difficulté aborder la côte à un autre endroit et ainsi trouver un secours plus efficace qu’auprès de Villegagnon.
En utilisant des vêtements en guise de voile, il nous faut 6 jours pour atteindre la côte distante de 10 lieues seulement. Les indigènes, nous voyant exténués, prennent bien soin de nous pendant 4 jours, puis étant en meilleur condition nous décidons de rejoindre le fort Coligny à 4 jours de marche.
Villegagnon nous accueille relativement bien au début, mais rapidement nous soupçonne d’être des espions envoyés par les passagers du navire qui pourraient peut-être revenir pour l’attaquer et nous oblige à signer une confession de foi.
Villegagnon, décidant que nous sommes des hérétiques précipite Jean du Bordel, puis Mathieu Verneuil du haut d’un rocher surplombant la mer. Pierre Bordon étant malade dans son lit, Villegagnon l’a emmené dans une barque, conduit au lieu de l’exécution et jeté à l’eau.
C’est ainsi que pour la première fois le sang d’un Chrétien est versé outre Atlantique. Villegagnon sera appelé le Cain d’Amérique et à son retour en France, ce persécuteur mourra misérable et impénitent. L’église réformée a ainsi eu l’honneur d’offrir les premiers martyrs missionnaires.
De leur côté, Jean de Levy et les autres passagers continuent leur voyage à grand peine dans une mer peu avenante et sans cesser de pomper à tour de rôle.
Vers la fin février, ils ne sont plus loin de l’équateur, et comme les vivres diminuent sérieusement, ils décident de se nourrir des animaux sauvages embarqués. C’est ainsi qu’une partie des perroquets et des guenons est sacrifiées.
Le 11 mars ils traversent enfin l’équateur et le 26 mars un coup de vent renverse le bateau dont les mâts touchent presque l’eau. Une partie du matériel mal arrimé passe à la mer dont des cordages et des cages à oiseaux. Quelques jours plus tard profitant d’une période de  calme vent, le charpentier tente de réparer un panneau de bois près de la quille. Mal lui en prend, le panneau s’arrache sous la  pression de l’eau ouvrant une voie d’eau impossible à fermer.
Nous sommes perdus, nous sommes perdus !
Le capitaine fait jeter beaucoup de bois précieux et tout autre marchandise de poids et fait mettre à l’eau une barque.
Fort heureusement le charpentier n’ayant pas quitté son ouvrage, il pu tant bien que mal remettre en place la pièce de bois et calfeutrer à nouveau la quille.
Au passage du tropique du Cancer, la mer est tellement couverte d’algues qu’ils sont obligés d’en couper les tiges pour pouvoir avancer. Vers le 15 avril, craignant la rencontre avec quelque ennemi, ils décident de préparer 4 ou 5 canons et comme la poudre est bien humide, le canonnier décide de la chauffer au feu sur le pont. Une étincelle allume le tout est si du côté du matériel ils ont de la chance de ne compter que quelques voiles roussies, du côté des matelots, deux d’entre eux sont si sérieusement brûlés que l’un des deux meurt quelques jours après.
Au passage des îles des Açores vers le début mai, il ne leur reste plus de nourriture et deux matelots meurent de faim. Ils mangent alors leurs chaussures et les chandelles de suif.
Le 12 mai, notre canonnier qui avait été vu en train de manger les tripes toutes crues d’un perroquet meurt quand même de faim.
Tous les cuirs du bord ayant été mangés, c’est maintenant aux rats et aux souris qu’ils s’en prennent et chacun redouble d’intelligence pour attraper ces pauvres bêtes en train de mourir de faim elles aussi.
Le 24 mai 1558 les plus vaillants voient au loin les terres de Bretagne et le lendemain une barque est mise à l’eau pour aller chercher du ravitaillement. Deux jours plus tard ils font leur entrée dans le port de Blavet et  il leur faudra plus de 15 jours pour se rétablir quelque peu.