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partie centrale qui "pousse"

Chapitre 1

L’An 1329, dans une abbaye du Sud de la France

Martin de Bordon avait mal aux mains. Voilà des jours qu’il tenait sa plume presque sans discontinuer. Peu ou pas de nourriture, ni de sommeil. Le plus dur c’est la nuit, la lueur des chandelles est si faible.
Après l’office du soir il rejoint sa cellule pour quelques heures de sommeil agité. La perspective de terminer bientôt son travail l’emplit d’énergie. Il est heureux et triste à la fois d’arriver à la fin de son travail après tous ces mois passés à trouver les termes adéquats pour exprimer en français ce que les juristes romains puis italiens avaient voulu exprimer.
Le droit canonique s'était élaboré progressivement, empruntant d'abord au corpus juridique romain, puis aux lettres décrétales du pape. Les sources du droit étaient très dispersées. Deux cents ans plus tôt à Bologne, en 1140, Gratien avait publié sa « Concordia discordantium canonum » (Concorde des canons discordants), un traité méthodique du droit qui rassemble plus de 3800 textes. Afin d’adapter les textes aux nécessités du moment et pour tenir compte des expériences réalisées, de nombreux canonistes avaient par la suite apporté chacun leurs commentaires.
Tancrède de Bologne, était l’un d’entre eux. Il avait publié en 1220, son « Ordo judiciarius » qui commente les trois premières « Compilationes Antiquae » écrits par Gratien et c’est à la traduction de cet ouvrage que Martin de Bordon s’est attaqué.
Fatigué par toutes ces réflexions, il finit par s’endormir.


Heureusement, le jour il fait beau et chaud en ce mois de juillet 1329 et dès la fin de la réunion dans la salle capitulaire, Martin se dirige vers le scriptorium.
Dans le long corridor, il croise un moine franciscain au visage fatigué qui lui demande de partager avec lui les bonnes senteurs du matin et surtout quelques minutes de conversation.


- J’arrive de Narbonne et je vous ai observé pendant la lecture ce matin. Je crois que je peux avoir confiance en vous. Je me cache depuis longtemps car l’inquisition me recherche pour appartenance à l’ordre des « spirituels ».
Martin pense aux bouleversements qui secouent depuis vingt ans l’Europe chrétienne. Le chaos politique qui règne en Italie est tel que le pape réside maintenant à Avignon. Malgré ses 84 ans Jean XXII n’est pas des plus sages. Il a mit en place une fiscalité sur les bénéfices qui fait déborder les caisses de l’Eglise. Il pratique l’occultisme, la cabbale et l’alchimie. Beaucoup l’accuse d’hérésie, mais c’est lui qui excommunie à tour de bras ses adversaires.
- Je suis un spécialiste du droit canon et comme laïc, j’essaie de ne pas être trop proche des affaires de l’église, mais j’ai entendu parler de la condamnation il y a 12 ans de 4 franciscains de Narbonne et de Béziers, les connaissiez-vous ?
- Oui, bien sûr. Ils sont devenus des martyrs et la vénération de ces « frères au bûcher » est maintenant un signe d’hérésie. C’est pourquoi beaucoup d’entre nous se cachent.
- Comment peut-on s’en prendre à des moines ayant simplement fait vœu de pauvreté et recherchent un christianisme originel ?
- L’inquisition ne nous laisse pas de répit. Les frères « spirituels » doivent cesser de clamer leur obéissance au Christ et se soumettre au pape. Heureusement beaucoup de nos frères ont étés accueillis par Louis IV de Bavière.
- Oui mais cela lui a coûté l'excommunication il y a 5 ans.
- L'année dernière, il a marché sur Rome qui lui a ouvert ses portes. Il y a nommé un nouveau pape, Nicolas V, mais cela ne leur a pas porté chance, ni à l'un ni à l'autre. En quelques mois tout les deux ont dû fuir.
- Oui et aujourd’hui le centre du monde est à Avignon ! Les universités françaises doivent pouvoir bénéficier dans leurs langues de tous les ouvrages de droit canonique existant en Italie et c’est à cette tâche que je me suis consacré.


Cette réflexion ramène Martin aux réalités de son travail, il prend alors congé et se dirige vers le scriptorium. La traduction de l’ouvrage de Tancrède doit être terminé avant la fin de l’été.


Son ouvrage « Ordinaires de Maistre Tancre, Chanoinne de Boloigne-la-Crasse, qui fu escris ou mois d'aoust l'an 1329, par Martin de Bordon » lui aura permis d’être reconnu et transmettra à travers les siècles la trace d’un scribe traducteur qui s’appelait Martin de Bordon.